Des parents des victimes, comme Hong Sa Vath, ci-dessus, ont dénoncé une sentence trop clémente. (Photo : Agence Reuters Chor Sokunthea)
Procès de l'ex-tortionnaire khmer rouge de la prison S-21
27 juillet 2010
Agence Reuters
«Je suis choqué comme tout le monde, a déclaré Theary Seng, un avocat des droits de l'Homme qui a perdu ses deux parents. C'est inacceptable qu'un homme qui a tué des milliers de personnes ne soit emprisonné que 19 ans.» «Je ne peux pas l'accepter, a commenté Saodi Ouch, 46 ans, en sanglots. Ma famille est morte [...] ma soeur aînée, mon grand frère. Je suis la seule toujours vivante.»Phnom Penh — «Douch» échappe à la perpétuité. Le tribunal spécial de Phnom Penh chargé de juger les anciens dirigeants khmers rouges a condamné hier à 35 ans de détention l'ex-tortionnaire de la prison S-21. Kaing Guek Eav, alias «Douch», 67 ans, ne devrait toutefois passer que 19 ans derrière les barreaux, le tribunal ayant notamment pris en compte le fait qu'il est détenu depuis onze ans.
Kaing Guek Eav est le premier responsable traduit devant ce tribunal international soutenu par les Nations unies. Quarante ans de réclusion avaient été requis contre lui pour crimes de guerre et crimes contre l'humanité.
L'accusé, qui a reconnu son rôle dans l'organisation de la prison de Tuol Sleng (S-21) et demandé pardon aux familles des victimes, est resté impassible, le regard lointain en écoutant la sentence, qui signifie qu'il pourrait un jour sortir de prison.
«Je suis choqué comme tout le monde, a déclaré Theary Seng, un avocat des droits de l'Homme qui a perdu ses deux parents. C'est inacceptable qu'un homme qui a tué des milliers de personnes ne soit emprisonné que 19 ans.» «Je ne peux pas l'accepter, a commenté Saodi Ouch, 46 ans, en sanglots. Ma famille est morte [...] ma soeur aînée, mon grand frère. Je suis la seule toujours vivante.»
Tuol Sleng était une école élémentaire transformée en prison par les Khmers rouges pour ceux qu'ils considéraient comme les pires ennemis d'État, espions, traîtres et saboteurs.
Nombre des 16 000 personnes qui y sont passées ont été torturées. Les bourreaux les ont électrocutées, leur ont arraché les ongles des orteils ou les ont quasiment noyées afin de leur soutirer des aveux. Aujourd'hui, S-21 est devenue un musée. Ses murs de béton sont recouverts des images d'hommes, de femmes et d'enfants, photographiés juste avant leur exécution.
Sous le régime khmer rouge de 1975 à 1979, plus de 1,7 million de Cambodgiens, soit environ un quart de la population, sont morts exécutés ou épuisés par le travail forcé, ou encore victimes de la famine ou du manque de soins médicaux.
Ancien professeur de mathématiques, Douch avait rejoint le mouvement de Pol Pot, le chef des Khmers rouges, en 1967, trois ans avant que les États-Unis ne commencent à pilonner le Cambodge pour essayer d'anéantir les troupes nord-vietnamiennes et Viet Cong qui s'y trouvaient. A partir de 1976, Duch était devenu le chef de S-21.
Disparu pendant 20 ans
Après l'intervention vietnamienne qui a contraint les Khmers rouges à quitter le pouvoir en 1979, Douch a disparu pendant près de 20 ans, vivant sous de fausses identités dans le nord-ouest du Cambodge, où il s'était converti au christianisme. Identifié par un journaliste britannique, il avait été arrêté il y a onze ans.
Douch est pour l'instant le seul Khmer rouge à avoir été jugé. Pol Pot est mort en 1998 et quatre autres hauts dirigeants khmers rouges sont en attente d'un jugement.
Le tribunal dit avoir pris en considération le contexte historique des atrocités commises à l'époque, celui de la Guerre froide. Il a aussi reconnu que Douch n'était pas membre du premier cercle des dirigeants du régime et qu'il avait coopéré avec le tribunal, reconnaissant sa responsabilité et exprimant des remords «limités».
Au cours des 77 jours du procès, Douch a reconnu avoir supervisé la mort de quelque 16 000 personnes qui sont passées dans cette prison.
Une des juges du tribunal international, Silvia Cartwright, a dit comprendre que les personnes qui subissaient le règne de terreur des Khmers rouges puissent être bouleversées par le verdict.
«C'est une des raisons pour lesquelles nous avons un tribunal objectif [...] prononçant une condamnation aussi équilibrée que possible, a-t-elle déclaré. Si on laissait aux victimes décider de la manière de punir une personne, alors ce serait peut-être le règne de la foule furieuse.»
«Il faut avoir à l'esprit que les victimes sont profondément blessées et traumatisées, a-t-elle ajouté. «On ne pourra jamais leur donner ce qu'elles ont perdu [...] donc, d'une certaine manière, une condamnation ne peut être que symbolique».
L'accusation et la défense disposent d'un mois pour faire appel du verdict.
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